la retro de juin par Anfalmyr
La cloche sonne, les chaises grincent sur le parquet usé de la classe, les manteaux froissent dans le couloir orné de porte-manteaux, les enfants sortent dans la cours de récréation alors que leurs cris stridents font fuir une nuée de moineaux. C’est les vacances ! Pas de bus scolaire aujourd’hui, Papa et Maman sont venus le chercher. La Peugeot 505 beige avec ses phares arrogants trône fièrement sur le petit parking municipal. Le petit garçon fait un signe de la main à ses camarades, n’ayant pas conscience qu’il ne les reverra pas avant au moins deux mois.
Dans un même élan, il claque la bise à ses parents puis jette son cartable waikiki sur la banquette arrière de l’automobile du paternel. À l’intérieur de ce char d’assaut, l’air suffoquant d’une voiture qui a passé la journée en plein soleil. D’un geste énergique, il tourne la manette en plastique de la vitre arrière qui descend péniblement. Sur le trajet, il s’amuse en sortant sa main à l’extérieur de l’auto, telle un avion improvisé qui file au gré des courants aériens. Alors que son père s’allume sa deuxième Gauloise, sa mère lui demande d’un regard complice s’il a des devoirs pour la semaine prochaine. Trop marrant Maman.
Arrivés à la maison, le jardin sent le gazon fraichement tondu. Le tas d’herbe dissimulé sous le jeune chêne ira rejoindre les chutes de troène dans le feu de joie qu’on préparera samedi après-midi. Même s’il n’a pas le droit de jouer avec le feu, il adore voir les flammes mordre le bois vert.
Tous les volets de la maison sont baissés, il fait frais à l’intérieur. De passage dans la cuisine, il se fait un chocolat froid et récupère la boite de cookies Hello de LU tandis que sa mère prépare une montagne de filets de sabre pour le dîner – c’est le poisson que personne ne connait et qui ne coute rien – toute la famille va se remplir le bide ce soir. Dans sa grande mansuétude, son père lui autorise à prendre le goûter devant Les Minikeums, mais une fois le Banania englouti, il aura intérêt à libérer le saint poste télé à son géniteur.
17h. Il monte dans la chambre de son frère en espérant que ce dernier joue sur sa Sega Saturn et apprécierait l’arrivée d’un copilote providentiel. Mince, le frangin s’écoute l’Ecole du Micro d’Argent sur sa console. En attendant que le patron termine sa cinquième écoute de l’Empire du Côté Obscur, le jeune garçon se rend dans sa chambre – en bordel – pour gribouiller quelques dessins sur le revers des Procès Verbaux jaune pisse que son père ramène de temps en temps du commissariat. Après un bon quart d’heure à dessiner des Schtroumpfs, son grand frère ouvre d’un coup la porte de la chambre.
– On joue?
– On joue.
La petite télé cathodique dans la chambre du frangin est placée au bord du lit. Selon la tradition, le grand frère s’assoit au bord de son matelas, et le petit frère sur le plancher, adossé au lit. L’objectif du jour, finir une nouvelle fois Guardian Heroes avant qu’un puissant « À table! » ne résonne dans l’escalier. Comme d’habitude ça sera un duo Samuel & Ginjiru, pourquoi changer une équipe qui gagne? Alors que le soleil commence à descendre sur la mer et que sa lumière rouge passe à travers les interstices des volets, les deux frères prennent le temps – comme à chaque fois – de regarder l’incroyable intro en Animé du jeu. Le petit garçon n’a toujours rien compris à l’histoire, mais peu importe, le plaisir est toujours le même, et comme à chaque fois il se dit que ça ferait un super dessin animé.
Les coups d’estoc résonnent à travers le son mono du cathodique, le tout au rythme des boutons matraqués des manettes Saturn. Les pads marquent des traces d’usure, le cordon a déjà commencé à se détacher de la manette et laisse apparaitre les fils. Le grand frère a le pad américain, le petit frère la version japonaise. Ils en ont vu passer des jeux en si peu de temps. Athlete Kings, Die Hard Arcade, Daytona USA, pour ne citer que les titres multijoueurs.
Cette fois-ci, les deux frangins ont affronté Super Zur, et au milieu de l’ultime affrontement : « À Taaaaaaaaable! »
Dans un excès d’optimisme, les deux bougres demandent un temps additionnel pour pouvoir terminer la partie. Au second avertissement il ne leur restera plus que cinq minutes, et au troisième et dernier avertissement, c’est la voix du père qu’ils entendront. Mais ils n’auront pas à aller jusqu’à de telles extrémités. Dans un éclair éblouissant, le boss tombe face au talent de nos deux héros.
Du bout du doigt il appuie sur le bouton power de la console, à travers le petit hublot il observe le CD ralentir dans le lecteur. En descendant l’escalier pour aller manger, le gamin se dit que ce jeu est vraiment super bien, que ça serait bien qu’il ait une gameboy pour jouer à ce fameux jeu de collection de monstres dont on lui parle à l’école, ou cette fameuse console grise de Sony qui arrive sur le marché. Mais à aucun moment il ne se dit qu’il partagera ses souvenirs quinze ans plus tard à plus de gens qu’il n’y a d’habitants dans sa petit ville.