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Mes impressions sur To The Moon

« Et vous ? Que changeriez-vous dans votre existence si vous le pouviez ? ». Cette interrogation somme toute classique, combien de fois ne l’avez-vous pas entendue ? Et combien de fois avez-vous répondu : « rien, je n’ai aucun regret et j’assume mes choix et mes erreurs ! » Pourtant, que j’aurais aimé découvrir To The Moon plus tôt et ne pas attendre honteusement une promo Steam pour poser les yeux sur ce jeu dont j’avais entendu tant de bien sans vraiment savoir de quoi il s’agissait. Si les personnes qui m’en parlèrent le firent avec un entrain communicatif, je ne pouvais m’empêcher de penser à un jeu indépendant de plus surfant sur la mode rétro 16 bit pour se faire une place. Que peut donc bien proposer To The Moon pour ne pas être qu’un phénomène retro hype de plus ?

Mon ami Gao, prête-moi ta plume, pour écrire un jeu …

Tout commence par un accident de voiture. Neil Watts a précipité son véhicule hors de la route, directement dans un arbre. Aucune égratignure, ni pour lui, ni pour sa passagère Eva Rosalene qui ne manque pas pour autant de le moquer sur les risques qu’il a pris pour tenter d’éviter un écureuil qu’il a de toute façon écrasé. Pas le temps de s’émouvoir sur la pauvre bestiole, les deux comparses sont attendus non loin de là, dans une résidence isolée au sommet d’une falaise bordant l’océan. Respectivement docteur et technicien chez Sigmund Corps, une société spécialisée dans le cerveau et la recherche mémorielle, plus particulièrement dans la modification de la mémoire, Eva et Neil se rendent au chevet de Jonny, un vieil homme au seuil de la mort.

La demeure de Jonny, aussi belle soit-elle, semble désespérément vide.

Celui-ci a fait appel aux services de Sigmund Corps pour l’aider à réaliser un vieux rêve : « aller sur la Lune ». Malheureusement, après un questionnaire d’usage, Jonny est bien incapable de se rappeler d’où lui vient cette idée de se la jouer « Georges Méliès ». Le temps leur étant compté, l’état du patient empirant petit à petit, les deux scientifiques décident de ne pas attendre pour se plonger dans la mémoire de leur client. Leur objectif est de retrouver dans son passé la graine qui a fait mûrir ce désir et de modifier cet événement afin que Jonny puisse prendre un autre chemin, vivre virtuellement une autre existence, fantasmée puis ignorée, qui l’aurait amené à s’envoler vers l’astre lunaire.

Cependant, Eva et Neil ne peuvent pas se permettre de visiter la mémoire de Jonny comme bon leur semble sans risquer le peu d’heures qu’il lui reste. Certes, leur société ne verrait pas d’un très bon œil la mort d’un client sans que satisfaction lui fut donnée, mais surtout, Eva et Neil pourraient rester à jamais prisonniers de l’inconscient de leur patient. Ils doivent donc mener leur enquête avec méthode, en commençant par les souvenirs les plus récents du vieil homme et remonter le fil de sa mémoire à l’aide de « connecteurs temporels », des objets faisant office de lien entre deux époques de la vie de Jonny. Par exemple, un livre posé à son chevet ramènera les deux collègues au moment où l’ouvrage fut acheté.

La passion de la femme de Jonny pour les origamis semble avoir tourné à l’obsession.

Eva et Neil vont ainsi découvrir à l’envers, petit à petit, la vie de Jonny… et ses secrets. L’existence du vieil homme va se révéler être un dédale dans lequel les deux scientifiques vont devoir se perdre, mener l’enquête. S’éloignant parfois de leur objectif initial, s’égarant au gré de leurs découvertes. Ils vont en particulier faire la connaissance de River, la femme de Jonny, récemment décédée, qui tout au long de sa vie, semble avoir souffert d’un mal étrange la poussant à s’isoler du reste du monde. De quoi souffre-t-elle ? Pourquoi réalise-t-elle des dizaines d’origamis en forme de lapin ? Et qui est donc cette « Anya » que River et Jonny évoquent si souvent ?

En dépit de leur « professionnalisme » et de l’interdiction formelle qui leur est faite de ne s’émouvoir des cas de leurs clients, Eva et Neil ne pourront s’empêcher, chacun à leur tour, de s’attacher aux personnes qu’ils rencontrent, en spectateurs anonymes des différents moments de la vie de Jonny, et de prendre part aux instants les plus cruciaux. Parfois de manière irrévocable …

Gaming To the Moon ?

Les premières choses qui frappent en se lançant dans le jeu de FreebirdsGames, sont inévitablement la musique et l’illustration qui nous accueillent. Autant l’annoncer de suite, le joueur même le plus insensible ne saurait cracher sur la qualité de la bande originale qui va l’accompagner tout au long de l’aventure dans des décors que n’aurait pas renié Squaresoft sur une Super Nes en plein chant du cygne. La direction artistique de To The Moon est tout simplement magnifique. Mais cela ne suffit pas à en faire un jeu !

D’ailleurs, To The Moon en est-il vraiment un ?

Les puzzles qui ne vous poseront pas de grosses difficultés, mais encore faut-il les résoudre en un minimum de coups.

Si sa vue du dessus peut faire penser à un jeu d’aventure ou un RPG, il n’en est rien. Dans les faits, on se rapproche plus d’un point’n’click, mais réduit à un gameplay des plus dépouillés. Pas de dialogue à choix multiples, pas d’énigme, de quête « chrono-post » ou d’aller-retours incessants entre différents lieux. L’essentiel de l’aventure consiste à guider tour à tour Eve et Neil dans des tableaux du plus bel effet pixel art, à l’écoute des confessions des quelques personnages qui peuplent les lieux, ou à la recherche des fameux « connecteurs temporels ».

Pour pouvoir utiliser ces derniers, il faudra souvent avoir trouvé sur les lieux des « fragments de mémoire ». Au nombre maximum de cinq par tableau, ils poussent en fait le joueur à découvrir toutes les informations d’un souvenir donné. Enfin, il faudra résoudre un mini-puzzle en un minimum de coups afin de pouvoir remonter plus loin dans le passé de Jonny.

Et … c’est tout !

Reconnaissons-le, si vous cherchez un « vrai » jeu (je vous laisse y mettre votre définition), To The Moon risque de vous décevoir sur ce point. Le « jeu » de Freebirds Game s’apparente plus à un récit interactif. Genre tant décrié dans les années 90 car proposant des aventures aux ambitions ludiques proches de celles d’un « Pile ou Face », il semble pourtant qu’il pourrait trouver ses lettres de noblesse avec des histoires telles que celle qui nous intéresse ici-même.

Car, si l’on demeure ensorcelé durant la poignée d’heures que dure To The Moon, c’est bien grâce à son histoire, subtilement contée. Et seules les actions discrètes du joueur permettent de la voir suivre son fil.

Quand je vous dis que les graphismes sont de toute beauté …

D’aucuns critiqueront To The Moon pour sa facilité à tirer sur la corde sensible, lui reprochant de chercher l’émotion par dessus tout. Pourtant, d’habitude si méfiant à l’encontre des œuvres vidéoludiques s’habillant de leurs plus émouvants atours (non, non je vous assure, je n’ai pas du tout en tête un récent jeu de That Game Company), votre serviteur n’a pas lâché une larme à cause des graphismes en pixel art du plus bel effet (décidément, je me répète), vous baladant dans des décors tantôt sauvages, tantôt déserts, mais toujours prompts à inspirer la mélancolie. De même qu’il serait injuste de résumer la force évocatrice du titre sur sa seule musique, même si celle-ci accompagne ce voyage nostalgique d’un piano esseulé avec une justesse remarquable.

Non, justement, si ce voyage émeut, c’est surtout parce qu’il nous est raconté avec une simplicité touchante, presque enfantine. Une histoire presque banale, des héros anonymes qui pourraient être votre voisine, votre boulanger, que sais-je encore !

La séquence du cinéma ravivera certainement des souvenirs à quelques-uns d’entre vous. Notez la frise en haut de l’écran où chaque « Jonny » représente un moment de sa vie.

Évidemment, étant donné son ton particulièrement mélancolique, To The Moon est à déconseiller aux personnes ayant perdu leur emploi, venant de se faire larguer, voire pire. Ni la corde, l’arsenic ou même la petite cuillère ne sont livrés avec le jeu pour écourter votre existence. « Il exagère le Prof’ là » penserez-vous. Peut-être en effet. La tristesse est un sentiment que chacun appréhende à sa façon. Mais combien d’entre vous reconnaîtront honteusement qu’il est parfois bien réconfortant de se complaire dans une introspection égoïste du style « pourquoi ce monde s’acharne-t-il sur moi ? »

Peut-être serez-vous plus fort ? Sachez juste que votre serviteur, ayant pourtant érigé en règle de vie la bonne humeur, a préféré limiter ses sessions de jeu à des portions d’une trentaine de minutes pour ne pas filer un mauvais coton. Ce jeu file le mouron (et non le mouton, rapport au mauvais coton, vous suivez ? Ah oui, le mouton c’est la laine ! Zut, elle tombe à l’eau cette vanne). Tenez-le vous pour dit !

Un moment hors du temps ! Cette séquence, et la musique qui l’accompagne ne manqueront pas de vous faire sourire

D’une certaine manière, je n’ai pu m’empêcher de voir en To The Moon une très libre inspiration du film Eternal Sunshine of the Spotless Mind. L’histoire de FreebirdGames et le film de Michel Gondry ont en commun les thèmes nostalgiques du souvenir et des regrets ; le propos parfois décalé avec la gravité des situations ; une étrange bonne humeur qui émane pourtant en filigrane d’une histoire lourde et pesante.

Car en dépit de son ton résolument mature (qui a dit « déprimant » ? ), To The Moon égrène régulièrement des situations qui vous arracheront un sourire niais de bonheur, ou des répliques franchement drôles. A ce titre, il faut rendre hommage au travail d’écriture de Kan R. Gao (a qui on doit aussi une bonne partie des thèmes musicaux) et des auteurs de FreebirdGames qui ont réussi le grand écart entre dialogues empreints de tristesse et de résignation et échanges vachards entre les deux héros. Mention spéciale aussi aux fans français qui se sont chargés de traduire intégralement l’aventure, en respectant le ton, l’humour et les références nombreuses à la pop culture.

« Que serais-je devenu si … ? » Le genre de question que l’on risque de se poser un jour ou l’autre, au crépuscule de nos vies. « Que serait ma vie si je n’avais pas joué à To The Moon ? » Certainement la même si l’on considère que le loisir jeu vidéo n’a pas à prendre une place démesurée dans son existence. Mais il serait injuste de ne pas reconnaître la volonté de ses auteurs de redonner une véritable place à l’écriture. Là où les blockbusters de notre époque misent sans cesse plus sur la surenchère technologique et des histoires toujours plus alambiquées, l’étonnement rivalisant à la fascination, au détriment de l’émotion, To The Moon offre une balade douce-amère au gré de graphismes superbement désuets dans un récit aussi simple que poignant. C’est avec un plaisir et une curiosité non feints que le joueur troque ici ses habits de gamers pour ceux de spectateur complice.

« Il n’est jamais trop tard pour apprendre de ses erreurs »,

et To The Moon méritait bien qu’on lui rende hommage, fut-ce même en retard !

A noter que la bande originale de To The Moon est téléchargeable à un prix dérisoire sur le site des développeurs et que la moitié de la somme est versée à une œuvre caritative.

 

 

39 comments on “Mes impressions sur To The Moon

  1. Geekube dit :

    Ton article donne envie ! Vivement la prochaine promo ! 😉

    1. djewom dit :

      Il est en promo a 2,5€ sur steam, vite, elle se terminera dans 2H45!!!!

  2. Geekube dit :

    Merci pour l’info, il était moins une ! 🙂

    1. Geekube dit :

      oui mais bon ton article ayant beau être élogieux, il est plus facile de craquer pour un pack à moins de 5 euros avec l’ost, plutôt que pour le jeu seul à 10 euros ! (bigoud powaaaa !)
      Je te reconnais bien là à craquer pour l’édition boite 😉

  3. guil dit :

    bravo les mecs, vous allez encore me faire dépenser du blé.

    par contre dommage qu’il n’y ait pas d’autre version que Windows….

    1. Anfalmyr dit :

      ça viendra peut être sait on jamais 🙂

  4. ThoIlde dit :

    Sur le facebook du développeur (www.facebook.com/FreebirdGames), il y a deux liens qui expliquent comment jouer sur une autre plateforme que Windows (message du 22 novembre) :
    – Mac : http://freebirdgames.com/forum/index.php?topic=4590.0
    – Linux : http://steamcommunity.com/app/206440/discussions/0/864945401086378555/

    A tester !

    En tout cas, un joli article Professeur Oz. J’ai participé à la traduction et je suis toujours assez ému de lire des critiques où je retrouve ma propre expérience de jeu.

    1. Professeur Oz dit :

      Un grand merci à toi et tes potos pour avoir permis de rendre cette pépite accessible aux non anglophones 🙂
      Au passage, votre team de traduction avait-elle un nom ? un site ? Histoire que je puisse au moins vous citer dans l’article.

      1. ThoIlde dit :

        Non, on a ni nom, ni site. L’équipe s’est constituée d’elle même depuis le forum du développeur.
        http://freebirdgames.com/forum/index.php?board=60.0

        A la base, à part quelques duos, on ne se connaissait pas. On a réussit à établir une méthode de travail qui convenait à tout le monde et chacun avançait à son rythme.

  5. Sylvain dit :

    Merci Prof Oz de m’avoir fait découvrir ce jeu.
    J’ai passé un excellent moment. Comme quoi quelques pixels (et une superbe OST) arrivent quand même à faire passer des émotions.
    J’attends l’épisode 2 maintenant 🙂
    http://freebirdgames.com/games/a-bird-story/

    1. Professeur Oz dit :

      Content que ça t’ait plu. Et tu seras donc heureux d’apprendre quand attendant l’épisode 2, Freebird Games a fait un chouette cadeau pour commencer 2014 en proposant un mini épisode de 20 min gratuit. Tu peux le télécharger ici : http://freebirdgames.com/2013/12/31/to-the-moon-holiday-special-releas/

      1. Sylvain dit :

        Merci !
        Je vais me faire ça d’ici la fin de la semaine.

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